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Pistes en PPN... Le jeu libre (point clé n°5)


Apologie du jeu libre en pédagogie par la nature…. et dans la vie.


Nous jouons, vous jouez, elles/ils jouent…



“Le jeu est le moyen grâce auquel la nature apprend aux enfants à résoudre eux-mêmes leurs problèmes, maîtriser leurs impulsions, réguler leurs émotions, se mettre à la place d’autrui, négocier en cas de désaccord et traiter les autres sur un pied d’égalité. Rien ne peut se substituer au jeu pour l’acquisition de ces compétences.” Peter Gray

C’est en tout cas ce que dit Peter Gray, psychologue américain et auteur du livre « Libre pour apprendre », dans son plaidoyer pour une école où l’enfant initierait ses propres apprentissages. Mais pour nous qui accompagnons les enfants en nature, dans un contexte scolaire (sorties de classe, ateliers réguliers…) ou extra-scolaire (ateliers du mercredi, ateliers famille etc…), comment concrètement justifier du caractère essentiel du jeu libre dans notre pratique ? Car soyons honnête, toute transaction d’argent porte, dans notre culture, des attentes de « productivité » - il faut que les enfants aient « fait » quelque chose, que des parties du programme aient été « vues », qu’on puisse cocher des cases. Dans tout cela, nous, les défenseurs du jeu libre en nature, pouvons passer – et nous sentir – comme de vrais extraterrestres.

Qui n’a pas eu ce petit moment de solitude, quand, enthousiasmé.e.s par la constellation d’apprentissages entrevus alors qu’on observe des enfants jouant librement sous nos yeux, on se retourne vers… allez, appelons-le Simon, pour partager cette joie. Mais au même moment, Simon rappelle les enfants “Allez, les enfants, on commence l’atelier !” … Redescente un peu brutale de l’extraterrestre de son petit nuage.


Alors pour favoriser un atterrissage en douceur, nourrir vos futurs argumentaires, et pourquoi pas, amener Simon avec vous dans le ciel étoilé, je vous propose un tour d’horizon du jeu libre en 7 points …. de façon ludique et humoristique, of course !


1. Comment expliquer le jeu libre à Simon ?

Dans « jeu libre », il y a « libre » - c’est là que tout se joue (sans jeu de mots). C’est un jeu initié et régulé par l’enfant ; une suite d’expériences que fait l’enfant avec son propre rapport au temps et à l’espace. Concrètement : mettez un enfant dans un bois et observez. C’est le jeu auquel les enfants se prêtent « naturellement », sans nous les adultes, sans les jouets, sans les règles d’une discipline à apprendre.


2. Et là, Simon vous dit : « Ah, en gros, c’est laisser les enfants jouer dans les bois ? »

Oui et non. C’est donner l’espace, le temps et l’opportunité, mais ce n’est pas laisser tout faire ou se désintéresser. Pour que le jeu libre existe, il faut avoir tissé avec l’enfant et le groupe une relation de confiance. Il faut aussi avoir créé un environnement physique et affectif sécurisant et inspirant. Il faut être disponible et pouvoir être la personne ressource si l’enfant en a besoin. Il faut surtout savoir s’effacer et appréhender notre rôle d’accompagnateur en périphérie, en filigrane.


3. Deuxième réaction de Simon : « Mais…. pourquoi ? A quoi ça sert ? »

(Alors c’est là qu’il faut lui proposer de s'asseoir et lui offrir quelque chose à boire)

On sait maintenant que le sur-encadrement des enfants (les anglo-saxons ont inventé ce fabuleux terme de « helicopter parenting » - quelle image !) et leurs emplois du temps de ministre font qu’ils ont de plus en plus de difficultés à explorer, apprendre sans l’intervention d’un adulte ou même poursuivre leurs propres intérêts. Sans tout cela, il n’y a ni confiance en soi, ni motivation intrinsèque, ni créativité, ni persévérance, ni résilience… la liste pourrait être bien plus longue bien sûr.

Si en Pédagogie Par la Nature, c’est le développement holistique de l’enfant qui nous intéresse, alors c’est le jeu libre qui doit primer. Ce jeu libre qui va au rythme de l’enfant, qui célèbre la diversité des enfants et leur incroyable créativité. C’est ce jeu libre qui leur permet de découvrir ce qui les fait « vibrer », ce qui les porte. Et nous - les parents, les éducateurs, les animateurs… - n’est-ce pas ce dont on rêve tous, que demain soit fait d’enfants qui sachent ce qu’ils aiment faire, qui puissent communiquer avec les autres, dont l’empathie rivalise avec leur créativité et qui sachent appréhender les risques et les défis que la vie leur présente ?


"Le jeu est pour l'enfant la manière la plus directe de se connecter à la vie de tous les jours, à lui-même et au monde. Le jeu libre est pour lui une nécessité, une prédisposition, un penchant, souvent un impératif. Il est un accomplissement profond". André Stern


4. Maintenant que Simon est initié, partagez-lui la recette !

Pour favoriser le jeu libre, Simon aura besoin :

- de temps (des études ont montré qu’il faut environ 40-45 minutes pour qu’un enfant initie un jeu, l’investisse et le fasse évoluer) et de lâche-prise (planning flexible et mouvant)

- de désapprendre son rôle d’adulte interventionniste (c’est culturel et pas personnel, bien sûr) et installer l’application “filtre à jugements” sur son disque dur. Évitons les présuppositions, jugements et compliments qui risquent de détourner l’enfant de son projet. Non, ce n’est peut-être pas du café avec un peu de sucre que Manuel vous amène de la cuisine des bois. Et si vous attendiez qu’il vous dise ce qu’il s’apprête à vous servir? ;) Oui, elle est belle la cabane d’Albane, mais est-il vraiment nécessaire de lui dire ?

- de célébrer le concept de « flow » (Csíkszentmihályi) (interdiction d’interrompre !) dans sa vie et celle des enfants qui l’entourent.

- de pas grand-chose d’autre – besoin de très peu de matériel pour le jeu libre, vive le simple et le facile !


5. Et ça marche à tous les coups ? (Y a-t-il des enfants qui ne savent pas jouer librement ?)

Non. Parfois, on rencontre des enfants qui n’ont comme expérience que des situations initiées, codifiées, régulées par les adultes. En découvrant le jeu libre, ils se retrouvent dans une situation sans attentes de la part des adultes autour d’eux - c’est le processus qui compte, plutôt que le résultat ; l’adulte accompagnateur n’attend pas de production en particulier ; les règles sont celles que l’enfant décide, seul ou avec ses copains. Ils doivent être décisionnaires et cela peut être difficile, voire anxiogène. Il s’agit alors de les accompagner dans une reconnexion à leur état d'enfant naturel. Les invitations au jeu (ressources, pistes d’activités en accès libre, matériel ou aménagement physique de l’environnement) sont un bon moyen pour l’adulte de se retirer progressivement du jeu tout en nourrissant une relation de confiance et de sécurité avec l’enfant.


6. Et dans les moments de doute ? Que répondre à un parent qui demande ce que son enfant a « fait » dans l’un de nos ateliers ?

Il est maintenant prouvé que la vie actuelle de nos enfants, calée comme du papier à musique, contrôlée et gérée par les adultes, même bienveillants, que nous sommes, est l’une des causes de l’augmentation du stress et de l’anxiété chez les enfants (et les adultes aussi, probablement !). Donner le temps et l’espace aux enfants de créer leurs propres jeux, librement, permet de renforcer chez eux la perception du contrôle qu’ils ont sur leur vie. Ce que les anglo-saxons appellent « locus of control » n’est pas du tout une apologie de l’enfant-roi, comme on pourrait le craindre dans notre France un peu psychologisante. C’est l’idée qu’on a tous besoin, pour notre bien-être émotionnel et mental, de percevoir en nous le siège décisionnaire pour ce qui touche à notre vie. Permettre aux enfants de jouer librement, c’est développer en eux la conviction qu’ils peuvent faire des choix, qu’ils peuvent initier le changement, seul et avec les autres.


7. Les enfants vous remercient (d’avoir initié Simon)

Car même dans la Déclaration des Droits de l’Enfant, les jeux et activités récréatives “doivent être orientés vers les fins visées par l’éducation”. En parlant des fins de l’éducation, on quitte le monde de l’éducation pour entrer dans celui de la politique. En effet, ce qui sous-tend le sur-encadrement actuel des enfants, c’est, outre une perception plus accrue des dangers que les générations précédentes, l’idée que toute activité des enfants peut être complétée, orientée ou améliorée par une intervention de l’adulte. Et cette idée, quant à elle, repose sur deux concepts :

- la normalisation du développement des enfants – comme si les enfants partageaient les mêmes expériences au même moment, et donc comme si les adultes avaient les clés pour intervenir à chaque fois de manière appropriée et optimiser ce développement.

- la productivisation du développement des enfants - comme si grandir était faire, plutôt qu’être et devenir.

Et maintenant, un peu de maths : normalisation + productivisation = ? (ça ne vous rappelle pas un peu vos cours d’histoire sur la révolution industrielle ?).

Alors voilà pourquoi les enfants vous remercient : nous avons tous le choix de faire, par nos actions éducatives, de la politique de terrain. En favorisant le jeu libre dans nos ateliers, nous rappelons que le développement de l’enfant est un processus holistique et unique à chaque enfant. Que les enfants portent en eux l’élan de curiosité qu’il faut pour apprendre. Et que le jeu libre est un des moyens pour favoriser le développement de compétences qui trop souvent ne figurent pas sur les listes d’objectifs pédagogiques.


Enfin…. le meilleur argumentaire pour le jeu libre, c’est de jouer librement nous-même, de nous reconnecter à ce qui nous fait vibrer, de faire l’expérience de nos émotions et de prendre certains risques. Si nous sommes ce modèle pour les enfants (et les familles, les écoles et autres structures) que nous accompagnons, bientôt la question de la validité du jeu libre dans nos ateliers de pédagogie par la nature ne se posera plus.


Alors… j’ai presque envie de dire « A vous de jouer ! » (et merci Simon).


Julie RICARD






Et vous, qu'en pensez-vous ? N'hésitez pas à nous faire parvenir vos réflexions sur le sujet ou à réagir sur le forum.




Source : Bougribouillons (Le Jeu Libre)


Pour aller plus loin :

Libre pour apprendre, Peter Gray

Jouer – faisons confiance à nos enfants, André Stern


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