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Accueillir des adolescents en PPN

Dernière mise à jour : 19 oct.

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La tribu des bois, un autre paradigme pour cette période liminale



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Voici venu l’été, enfin, l’été breton, et avec lui le moment de vivre nos derniers ateliers réguliers de l’année. C’est un espace-temps particulier, celui des derniers ateliers - envie de tout faire, vivre ce qui n’a pas encore été vécu. J’ai en tête le refrain du merveilleux album jeunesse “Papillon de jour” de Christian (le Bien-nommé) Merveille. “Aujourd'hui, j’ai envie de tout vivre”. 

Pourtant toujours aussi le souci de laisser à nos participant.e.s le temps et l’espace d’”être”. Ils sont si précieux, ce temps, cet espace - et comme tout bien précieux, la conscience de leur caractère “fini” (par opposition à “infini”) ne les rend que plus précieux encore. Je dirais même sacrés, n’en déplaise aux acharné.e.s des dérives sectaires. 


Cette année, notre aînée de la forest school nous quittera car elle part faire des études et qu’il est temps pour elle de voler vers d’autres horizons. Elle vient d’avoir 18 ans, et elle est arrivée il y a sept ans, à notre ouverture. Pour être exacte, sa famille était l’une des premières à venir à nos ateliers itinérants, alors que nous n’avions pas encore de site, à l’été 2018. 

Dans quelques semaines, son départ marquera pour nous, pour moi, une immense étape. Je ne vous raconterai pas ici le grand privilège d’accompagner la “pousse” d’un enfant pendant sept années, ce n’est pas l’idée de cet article. Un autre peut-être, un autre jour. Je ne vous raconterai pas non plus la difficulté pour moi d’envisager notre dernier atelier ensemble, mais c’est bien là LA leçon de la vie : tout passe, tout est éphémère, tout se transforme.


Parler de notre aînée m’amène au véritable sujet de cet article : notre tribu des bois, notre groupe mensuel accueillant des pré-ados et ados. Ils.elles ont entre 11 et 18 ans. Certain.e.s sont arriv.é.e.s dans ce groupe après avoir (allègrement) dépassé la limite d’âge des autres groupes ; d’autres ont rejoint la forest school pour ce groupe. Dans le cas de notre aînée, elle a été l’une des raisons de la création du groupe “ado”, après que l’on ait “étendu” chaque année la limite supérieure du groupe du mercredi jusqu’à ce que cela devienne une blague à la forest school… “Et cette année, le mercredi, c’est 6-15 ans, c’est bien ça ?” Oui, bon, d’accord, il y a eu un moment où cela s’imposait à nous. Nos enfants, eux aussi, grandissaient et notre projet se dessinant au fil de leurs besoins changeants, il nous a semblé intéressant de nous lancer dans cette aventure. 


Je dois te dire que dans une vie précédente, j’ai un peu côtoyé les ados, en tant qu’assistante dans un lycée pour filles en Irlande (expérience plutôt terrifiante mais riche), puis en tant qu’enseignante en soutien scolaire, en milieu urbain défavorisé, à Londres (j’ai adoré, je devais être un peu plus prête!). Ils sont vite tombés dans ma catégorie d’humains préférés : les laissés-pour-compte, les mal-aimé.e.s, les mal-compris.e.s. C’était finalement une évidence de leur faire une place dans notre forêt, et j’espère que ce retour t’inspirera à faire de même dans la tienne. 


Un début en questionnements


“Quoi, vous allez mettre des ados dans la forêt ? Sans écrans ? Avec toute cette liberté ?” 

Ces questions nous ont été fréquemment posées aux débuts de cet atelier. Au coeur de ces questionnements, en fouillant, il m’a semblé trouver deux concepts : 

  • la mauvaise image de l’adolescence, la fameuse “crise”, l’idée d’un jeune impétueux, irrespectueux, irritable, incontrôlable. Et en plus, en mettre plusieurs ensemble ?? genre, un groupe?? 

  • le constat douloureux des problèmes de santé mentale et physique qui pèsent maintenant de plus en plus lourd sur nos jeunes : addiction (aux écrans mais pas que), anxiété, dépression, obésité etc… (la liste est malheureusement longue)



Changer notre vision de l’adolescence


Quiconque farfouille un peu dans les méandres de l’éducation aura déjà lu et compris que cette fameuse crise d’adolescence, celle qui a acquis le statut de mythe et fait trembler le jeune parent fraîchement sorti de la maternité, cette crise est en fait véritablement culturelle. Dans d’autres cultures, elle n’existe carrément pas. En effet, dans nos civilisations dites “industrielles”, la révolution industrielle fait reculer, au XIXe siècle, l’âge du passage des enfants à l’âge adulte. Là où les enfants rejoignaient avant le rang des adultes entre 7 et 9 ans (en commençant à travailler), la nouvelle importance des études et de la spécialisation vient retarder ce passage. C’est désormais entre 16 et 20 ans que se fait l’intégration des jeunes à la société. 

Le résultat ? Un vide, un fossé, entre l’état d’enfant et celui d’adulte… qu'on nomme alors “adolescence”, terme qui sera pour la première fois le sujet d’un ouvrage au début du XXe siècle1. Une cinquantaine d'années plus tard, l'Organisation Mondiale de la Santé définit officiellement l'adolescence comme la tranche d'âge des 10 à 19 ans. Et c’est ainsi qu’apparaît, dans les pays industrialisés, cette nouvelle “classe”, les ados. 



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Pourquoi une crise ? 


On sait bien sûr qu’un des facteurs universels de cette tranche de vie est la puberté. Au fil d’une de mes lectures de mère au bout du gouffre (avec justement, je vous le donne en mille, mon ado!), je découvrai un autre point de vue sur ce passage où les hormones semblent régner en maîtres sur les corps et les esprits de nos jeunes. Catherine Dumonteil Kremer2 parle de l’élan de vie des adolescents, comme d’une pulsion de vie qui habite nos jeunes et cherche à s’exprimer coûte-que-coûte. Dans nos cultures, l’adoslescent.e se trouve dans un entre-deux où il.elle a perdu certains privilèges de l’enfant sans avoir encore accédé aux responsabilités et à l’autonomie des adultes. En somme, il.elle se trouve confiné.e à un unique rôle, celui d’être élève, dans un système éducatif fondé sur le contrôle et la compétition. Résultat ? Cet élan, cette énergie vitale, sans possibilité d’expression, se manifeste de façons plus négatives : agressivité, provocation, comportements antisociaux etc. 


Et ailleurs, alors ? Pas de crise ?? 


D’autres cultures accueillent cet élan de manière différente. Chez les Masaï, les garçons passent de 10 à 15 ans à développer leurs compétences pour devenir chasseurs et guerriers. Chez les Inuits, c’est l’acquisition de certaines compétences qui marque le passage à l’âge adulte : une fille sera considérée femme quand elle saura écraser et faire fondre de la glace pour obtenir de l’eau, fabriquer des bottes, obtenir de la graisse de phoque pour cuisiner et allumer des lampes.

Chez les Mbuti3, peuple de la forêt équatoriale du centre de l’Afrique, c’est encore différent : les décisions importantes de la communauté sont prises par les “adolescents”, qui représentent l’avenir de la société Mbuti (tandis que l’allumage de feu revient, lui, aux enfants, en raison de leur pureté originelle). Ça ne fait pas rêver, ça ?? Je ne sais pas toi, mais moi, oui. Des adolescent.e.s accueilli.e.s en toute confiance pour contribuer et s’inscrire de manière positive dans une communauté… une belle inspiration, les Mbuti. Merci.


Du rêve à la réalité


Et si les forest schools pouvaient soutenir les adolescent.e.s dans l’exploration et l’expression de cet élan vital ? Si elles pouvaient être la communauté qui les accueille et leur fait une place ? 


C’est de cette manière que l’on a rêvé notre Tribu des Bois. Quelques ingrédients simples, pas si différents de ce que l’on fait avec nos autres groupes, mais peut-être un peu plus grand format. 

En voici une liste non-exhaustive : 


  • partir à l’aventure, avec vraiment peu de matériel et laisser libre cours à leurs immenses ressources… et aux papotages

  • participer à l’entretien du site : creuser une mare, élaguer les branches dangereuses, créer un xylophone des bois, planter une cabane en osier, fendre du bois, planter un potager, créer une champignonnière… 

  • collaborer sur des gros projets créatifs qui naissent de leurs envies : création de chaises en bois et filet, sculpture sur bois, pyrogravure de panneaux à la loupe, fabrication d’une tyrolienne, construction de bateaux en tous genres… 

  • partager des temps de bivouacs : jouer la nuit, célébrer ensemble, se raconter nos histoires, partager un petit déjeuner autour du feu, faire communauté

  • jouer (on n’est jamais trop âgé pour jouer!) : jeux physiques, jeux de cache-cache, jeux stratégiques, jeux juste pour rire ensemble et même des jeux d’interconnaissance (pour les aider à se rencontrer).


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Et puis, bien sûr, comme dans les petits plats de Mamie, il y a les petits plus qui donnent ce goût inimitable. Voici ceux qui colorent notre tribu : 

  • cuisiner ensemble : menus décidés par le groupe d’un atelier sur l’autre, puis cuisinés collectivement avec les ingrédients amenés par chacun.e

  • des temps de discussions autour du repas, joyeux, ouverts et horizontaux, où la diversité d’opinion est célébrée et encouragée. 

  • des instruments de musique toujours présents, laissés sur un tapis comme par oubli ;) 

  • un taux d’encadrement haut, même s’ils sont “grand.e.s” - nous sommes 4 adultes pour 18 jeunes - eux-aussi ont besoin de personnes ressources disponibles. 


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Une ode à la liminalité


En conclusion, s’il y avait un ingrédient magique dans cette tribu, je dirais que ce serait le temps suspendu, celui qui fait que les ateliers passent toujours trop vite mais aussi celui qui nous fait oublier nos âges respectifs pour nous retrouver ensemble sur un seuil commun. S’il y a bien un état que nous partageons (au-delà de notre humanité), c’est le fait d’être dans des passages liminaux de nos vies. Eux, à l’adolescence ; nous, adultes de la quarantaine un peu tassée, à ce que les britanniques appellent la “mid-life”. Ces deux passages sont d’ailleurs communément affublés du terme “crise”. Plutôt que d’être en crise, je préfère être sur le seuil, qui porte en lui toutes les promesses d’une transition et d’une transformation. L’image du début de cet article, le papillon d’un jour, me revient et je souris. La boucle est bouclée, telle cette histoire qui commence par la chrysalide sur une feuille au petit matin et finit avec des œufs à la nuit tombante. 


Des mois sont passés depuis que j’ai commencé cet article. L’automne est maintenant parmi nous et il m’apparaît qu’il n’est de moment plus opportun pour parler d’espace liminal. C’est ce moment de l’année que les celtes célébraient comme celui où le voile entre monde des vivants et monde des morts est au plus fin. Notre terre est pétrie de liminalité. Notre humanité aussi. Notre aînée, elle aussi, a passé un seuil, celui d’une vie autonome. Nous sommes restées en contact et avons célébré avec et pour elle cette nouvelle étape. La tribu a retrouvé sa place dans la forêt, et nous continuons de grandir ensemble. 


Dans nos chrysalides, sur nos seuils, nous sommes finalement entre pairs, nous sommes nous-entièrement, nous-maintenant et nous-en-devenir, dans notre incertitude et tout notre potentiel. C’est un endroit de profonde vulnérabilité et de grande force à la fois et je suis convaincue que c’est l’ingrédient magique qui nous fait faire si joyeusement tribu. 





Julie Ricard, octobre 2025



1 Adolescence (Vols. 1 & 2)Hall, G. Stanley., , New York, Appleton, 1904

2 Accompagner l’adolescence, Catherine Dumonteil-Kremer, ed Jouvence, 2022

3 Article “L’avenir à pas de géant”, Terre sauvage n°38; mars 1990

 
 
 

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