Retour sur le premier colloque international des forest schools à Liverpool
Rejoindre Liverpool à partir de Brest m’a demandé un peu de créativité et beaucoup de motivation pour voyager avec un impact carbone raisonnable. Après 16 h de train, d’Eurostar et de bus, après être passée par Paris, Londres et Birmingham, me voilà, le 25 juin 2024 à Liverpool, berceau des Beatles et première ville à accueillir un colloque international de recherche sur le mouvement Forest School ! En partenariat avec l’université de Liverpool, c’est la Forest School Association (FSA) qui en est à l’origine.
Figure 1 Welcome to England ! (©M. Jacq)
Je me sens particulièrement heureuse d’être là, un peu anxieuse aussi car ma pratique de l’anglais est un peu rouillée... Je suis rapidement accueillie et mise à l’aise par Mimi, jeune forest school leader et membre de la FSA. Très souriante, elle prend le temps de m’écouter me dépatouiller dans sa langue maternelle. Le colloque accueille des chercheurs de toutes disciplines travaillant sur la pédagogie Forest School, ainsi que des étudiants et des praticiens. Son intitulé exact est : « The Interdisciplinary Perspectives, Practices and Principles of Forest School ». Il me surprend par l’ouverture, à la fois à l’international, et au niveau des disciplines impliquées. Il n’y a pas de restriction particulière, tant qu’il s’agit d’étudier l’éthique, la pédagogie et la pratique dans les forest schools.
J’ai hâte de rencontrer des chercheurs britanniques que je n’ai fait que lire, et de retrouver des pédagogues que je connais un peu pour les avoir interviewés.
Retour sur quelques travaux
Sarah Knight est chercheuse et forest school leader. Elle a déjà publié plusieurs ouvrages et articles. D’après elle, le mouvement Forest School est d’abord parti du terrain, avant que ne se développe la théorie (Knight, 2016). Dans ses travaux, elle cherche à donner une assise théorique à la façon dont les enfants peuvent y apprendre. Elle prône l’importance de l’interdisciplinarité, c’est-à-dire de constituer des groupes de chercheurs de disciplines différentes afin d’étudier ce phénomène nouveau. Pour elle, il n’est pas possible de comprendre ce qu’est la pédagogie Forest School si on ne se réfère qu’à un seul domaine de recherche (Knight, 2024). Dans un récent article écrit à plusieurs voix, elle détaille de quelle manière la pédagogie s’appuie sur des théories ou pratiques d’apprentissages déjà documentées. Elle s’inscrit dans l’apprentissage expérientiel socio-constructiviste, prenant appui sur le jeu, le risque, la créativité (Knight et al., 2023). La pédagogie serait aussi liée au concept de biophilie selon lequel il existe un attrait inné entre les êtres humains et les autres formes de vie (Wilson, 1984). Elle se réfère aussi au terme de frilutsliv, qui rend compte du lien et de l’engagement des individus scandinaves avec leur environnement naturel. Enfin, le concept d’attachement, et plus spécifiquement d’attachement au lieu, vient rendre compte de cette régularité dans l’exposition des participants à des espaces naturels (Knight et al., 2023). C’est Sara Knight qui nous accueille pour introduire le colloque.
Jenny Archard est une forest school leader expérimentée, qui a plusieurs cordes à son arc. Elle a ouvert une forest school dans le comté du Somerset, dont le nom est Neroche Woodlanders1. Elle y pratique des ateliers réguliers avec des publics différents. Sa spécificité est de prêter une oreille attentive aux difficultés sociales des participants. Elle travaille aussi avec des enfants en difficulté scolaire afin qu’ils puissent redonner du sens à leurs apprentissages.
Figure 2 Entrée de la forest school Neroche Woodlanders (©M. Jacq)
Figure 3 Cercle autour du feu à Neroche Woodlanders (©M. Jacq)
Jenny nous propose un atelier en plein air, et nous la suivons sur un terrain enherbé et un peu boisé. Assis dans l’herbe en formant un cercle, nous commençons par nous présenter. Jenny mène également des recherches pour mieux comprendre le lien entre les individus et leur environnement naturel. Elle nous demande alors de nous lever, et de déambuler en nous demandant de quelle façon nous entrons en contact avec la nature. Chacun se retire, explore un coin de nature qui l’attire. Pour ma part, je reste pas très loin, l’arbre derrière moi m’appelle déjà !
Je fais ensuite la connaissance d’Anna Davis, une psychologue qui s’intéresse à la PPN. Ces recherches montrent que la pédagogie peut créer un espace thérapeutique et donne la possibilité aux enfants de faire des rencontres thérapeutiques à travers des expériences de nature (Davis, 2024). Au cours du colloque, plusieurs recherches concernent les bienfaits de la pédagogie sur la santé mentale. Il est notamment question du bien-être ressenti par les parents participant à un programme Forest School avec leurs enfants (Neary et al., 2024 ; Coates & Pimlott Wilson, 2024).
Frances Harris est une chercheure qui s’intéresse à ce que les enfants apprennent. Ses travaux sont faciles à lire et elle m’a beaucoup inspiré pour ma thèse. Lors du colloque, elle présente une revue de littérature d’articles scientifiques qui cherchent à documenter les effets de la pédagogie. Elle pointe aussi des défis. En effet, les recherches sur les forest schools peuvent être disparates et manquer de méthodologie commune. De nombreuses voix sont collectées (enfants, praticiens, parents, seniors…) et les échantillons ont des tailles très différentes. La chercheure se demande s’il est judicieux de laisser les adultes parler à la place des enfants, sur les effets qu’a la pédagogie sur eux. Elle pointe le fait qu’il manque des études sur le long terme. Enfin, elle note la difficulté de récolter des données auprès des jeunes enfants. Elle suggère, pour de futures recherches, de s’attarder particulièrement sur le lien entre la Forest School et le phénomène de neurodivergence2 (Harris, 2024).
Mark Leather est enseignant et chercheur à l’université de Plymouth. Il est connu pour avoir été le premier à écrire un article critiquant certains aspects du mouvement Forest School. Il a en effet pointé le problème de l’adaptation de la pédagogie à une culture particulière. Pour lui, il est important de ne pas chercher à appliquer des normes venant d’une autre culture (scandinave) dans un pays qui a déjà sa propre histoire en terme d’éducation à l’environnement. Il note aussi que les adultes accompagnateurs peuvent avoir du mal à adopter la posture adéquate vis-à-vis d’une pédagogie basée sur le jeu. Enfin, il pointe le risque d’une commercialisation du concept Forest School, qui peut être accentué par le fait qu’il est souvent acquis que les enfants vont, grâce à elle, développer une meilleure estime d’eux-mêmes (Leather, 2018). À travers ces critiques au final constructives, il cherche à mieux comprendre la façon dont les enfants apprennent.
Joan Whelan est une ancienne directrice d’école primaire irlandaise, grâce à qui le mouvement s’est développé en République d’Irlande à partir de 2012. Elle a en effet introduit la pédagogie dans son école, et a cherché à fédérer un réseau national. Si l’Irish Forest School Association (IFSA) a repris les six principes de son homologue britannique (FSA), elle cherche à s’en différencier et à acquérir sa propre personnalité. Une fois en retraite, Joan a écrit une thèse afin de documenter le développement des forest schools en République d’Irlande. Elle a ainsi réalisé une grande enquête dans le pays. Elle a montré notamment que 300 personnes avaient été formées en tant que forest school leaders, dont un peu plus du tiers pratique effectivement la pédagogie. Pour elle, la pratique irlandaise se veut inclusive, expérientielle, ancrée dans le lieu et la culture propres au pays (Whelan, 2024).
Des chercheurs ou praticiens d’autres pays ont montré comment le mouvement prenait racine ailleurs. En Israël, G. Tal parle de Forest Education, développée à la fois en éducation formelle et informelle. Les pratiques y sont notamment liées à la spiritualité et aux rituels (Tal et al., 2024). Aux Émirats Arabes Unis, E. Wright présente des difficultés liées au lieu : tenter d’implanter une forest school en plein désert, avec des palmiers en pots et un aménagement très sommaire. Cela est réellement un défi d’importer le concept d’une culture à l’autre : l’éducation ne peut certainement pas être déconnectée du contexte local (Wright, 2024). À Singapour, le mouvement est porté par une association (Shin Ee & Quek, 2024). Malgré leur très forte motivation, elle va probablement s’arrêter prochainement, à cause de difficultés rencontrées par les porteurs de projet, qui se retrouvent souvent isolés.
D’autres pays étaient présents comme l’Italie et l’Espagne, et bien sûr la France que je représentais ! J’ai pu présenter mes travaux sous la forme d’un poster (Jacq, 2024). J’ai aussi été interviewée en même temps que l’étudiante de Singapour, par les diffuseurs du programme « The Forest School Podcast » qui ont consacré 2 h au colloque3. J’ai ainsi pu montrer de quelle manière j’essayais de comprendre l’apprentissage des enfants dans les écoles de la forêt. Mon investigation dans différents contextes (français, allemand, irlandais et britannique) m’a permis de montrer que la PPN pouvait nourrir un apprentissage scientifique, tout comme un certain rapport à la nature et au vivant, notamment sur le plan affectif. Le poster reprend une situation filmée au Royaume-Uni dans laquelle deux filles construisent un abri pour les vers de terre, un « worm hotel » (Jacq et al., 2024).
Figure 4 Deux filles projettent de construire un abri pour les vers de terre (©M. Jacq)
Ma synthèse n’est pas exhaustive car je n’ai pas pu assister à toutes les présentations, mais le lecteur pourra, début 2025, consulter les articles en ligne sur le site de la FSA4.
Et après ?
Le colloque a donc permis de rassembler des présentations de différents pays, même si la majeure partie des chercheurs étaient britanniques. Son originalité vient du fait qu’il a rassemblé autant de praticiens issus du terrain que de chercheurs, et même des praticiens-chercheurs. Il a mis en évidence les différences et parfois les difficultés d’implantation du mouvement en fonction du contexte, mais surtout l’importance d’adapter la pédagogie à la culture locale.
Figure 5 La boue part au lavage, mais les souvenirs restent pour toujours ! (©M. Jacq)
Si la recherche britannique sur les forest schools est déjà avancée, ce colloque a montré que dans les autres pays elle en est à ses prémices. La présence de participants de nationalités variées appuie l’intérêt de créer une communauté de chercheurs internationale pour étudier cette nouvelle pédagogie. Le colloque a aussi permis de voir qu’il était important de ne pas se déconnecter du terrain et donc de maintenir un lien fort entre la recherche et la pratique, entre les chercheurs et les praticiens. Il m’a donné une motivation supplémentaire pour enrichir les réflexions dans notre pays, où les savoirs fondamentaux sont tellement importants et où il est difficile de s’en défaire. Malgré cette difficulté française, des chercheurs en didactique soulignent qu’il est grand temps, dans un contexte d’urgence climatique d’inventer autre chose, en dehors du système scolaire :
« Nous voyons une double orientation révolutionnaire dans ces ouvertures réflexives : une rupture avec une Ecole qui, malgré toutes les bonnes intentions affichées par les instructions officielles, ne fait que reproduire le système dominant (Illich, 2003) ; une rupture avec la construction d’élèves spirituellement dociles et formatés. » (Devleeshouwer & Orange-Ravachol, 2022, p. 12)
Comprendre la pédagogie pour mieux la pratiquer, dans la perspective de former une communauté humaine plus consciente et plus vivante, voilà un beau défi que le colloque lance aux chercheurs et praticiens, aux praticiens-chercheurs, qui s’intéressent de près à ce que la PPN a à nous apprendre.
Marine Jacq-Rolland, doctorante au CREAD et à l’UBO, marine.jacq1@inspe-bretagne.fr
Bibliographie
Coates, J. & Pimlott Wilson, H. (2024). Finding my tribe: Parental experiences of attending a Forest School toddler group [communication orale]. Forest School Research Symposium. The Interdisciplinary Perspectives, Practices and Principles of Forest School. Liverpool. https://forestschoolassociation.org/forest-school-research-symposium/
Devleeshouwer, P. & Orange-Ravachol, D. (2022). Quelles pédagogies critiques pour penser l’Anthropocène ? Spirale, 70, 3-12. https://spirale-edu-revue.fr/Quelles-pedagogies-critiques-pour-penser-l-Anthropocene-Presentation-Spirale-70
Davis, A. (2024). Wellies and wondering: exploring Forest School as a therapeutic space for children [communication orale]. Forest School Research Symposium. The Interdisciplinary Perspectives, Practices and Principles of Forest School. Liverpool. https://forestschoolassociation.org/forest-school-research-symposium/
Harris, F. (2024). Forest School: past research, existing tensions and future priorities [communication orale]. Forest School Research Symposium. The Interdisciplinary Perspectives, Practices and Principles of Forest School. Liverpool. https://forestschoolassociation.org/forest-school-research-symposium/
Knight, S. (2016). Forest School in Practice For All Ages. SAGE.
Jacq, M., Marzin-Janvier, P. & Grenier, D. (2024). Forest School: Potential for Scientific Learning and Relationships with Nature [communication par poster]. Forest School Research Symposium. The Interdisciplinary Perspectives, Practices and Principles of Forest School. Liverpool. https://forestschoolassociation.org/forest-school-research-symposium/
Knight, S., Coates, J. K., Lathlean, J. & Perez-del-Aguila, R. (2023). British Educational Research Journal, 50, 905-922. https://doi.org/10.1002/berj.3953
Knight, S. (2024). Attachment as an Interdisciplinary Issue at Forest School [communication orale]. Forest School Research Symposium. The Interdisciplinary Perspectives, Practices and Principles of Forest School. Liverpool. https://forestschoolassociation.org/forest-school-research-symposium/
Leather, M. (2018). A critique of “Forest School” or something lost in translation. Journal of Outdoor and Environmental Education, 21, 5-18. https://doi.org/10.1007/s42322-017-0006-1
Neary, H., Canessa-Pollard, V. & Stiller, J. (2024). A whole other world – A qualitative study exploring the subjective wellbeing of parents attending a family forest school programme [communication orale]. Forest School Research Symposium. The Interdisciplinary Perspectives, Practices and Principles of Forest School. Liverpool. https://forestschoolassociation.org/forest-school-research-symposium/
Shin Ee, C. & Quek, D. (2024). The Earth’s Spine: Examining Educational Frameworks and Ways of Life in Forest School Singapore [communication orale]. Forest School Research Symposium. The Interdisciplinary Perspectives, Practices and Principles of Forest School. Liverpool. https://forestschoolassociation.org/forest-school-research-symposium/
Tal, G., Dishon, G. & Vedder-Weiss, D. (2024). ‘You haven’t blessed the forest yet Darling; Enhancing nature connection through relational epistemology’ [communication orale]. Forest School Research Symposium. The Interdisciplinary Perspectives, Practices and Principles of Forest School. Liverpool. https://forestschoolassociation.org/forest-school-research-symposium/
Wilson, E. O. (1984). Biophilia. Harvard University Press.
Whelan, J. (2024). Forest School Pedagogy in Ireland: successes, challenges and future directions [communication orale]. Forest School Research Symposium. The Interdisciplinary Perspectives, Practices and Principles of Forest School. Liverpool. https://forestschoolassociation.org/forest-school-research-symposium/
Wright, E. (2024). The Lived Experiences of Staff Involved in Adapting a Forest School Model to Fit with the Local Culture and Environment in one Private School in the United Arab Emirates [communication orale]. Forest School Research Symposium. The Interdisciplinary Perspectives, Practices and Principles of Forest School. Liverpool. https://forestschoolassociation.org/forest-school-research-symposium/
1 http://www.nerochewoodlanders.org/, consulté le 22/09/2024
2 La neurodivergence fait référence aux personnes dont le cerveau se développe ou fonctionne différemment de la plupart des gens, pour des raisons médicales ou non. Cela affecterait entre 15% et 20% de la population (Pells, 2022).
3 International Forest School Research Symposium, https://open.spotify.com/episode/0AFoTesECoo9B8nL4yoLFd, consulté le 22/09/2024
4 Forest School Association : https://forestschoolassociation.org/forest-school-research-symposium/ , consulté le 24/09/2024
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